Henri Maccheroni

Le rêveur de papier

Henri Maccheroni était un artiste multiple, tant dans sa personnalité que dans sa pratique artistique. Comme aime à le dire son complice et ami, le poète et critique d’Art, Raphaël Monticelli, en regardant la richesse de l’œuvre de Maccheroni, on a l’impression qu’il s’agit du travail de plusieurs artistes…

Bertrand Roussel

Docteur en préhistoire, Directeur adjoint du Musée d’Archéologie de Nice

Michel Buto et Henri Maccheroni

Henri Maccheroni a en effet développé des techniques plastiques extrêmement variées de la peinture à l’huile à la photographie en passant par le photomontage, le collage ou encore la gravure et cela, sur des thématiques également très larges. Cependant, dans cette apparente hétérogénéité plastique, une forte cohérence scelle le travail et l’œuvre de Maccheroni qui se désignait lui-même comme un « classique contemporain ».
Pour Henri Maccheroni, l’artiste n’est pas coupé du monde. Il est là pour l’interpeler et intervenir dans les grands choix sociétaux.
Cet artiste a commencé sa carrière dans les années soixante avec de grandes toiles post-surréalistes mais très vite le travail en série s’est imposé à lui (les Mondes inachevés, les Nocturnes, les Archéologies bronze, New-York First-Time, etc.). Dans le cadre de cette démarche sérielle, il s’est souvent attaché à interroger les thèmes clefs de l’Art occidental comme la Crucifixion, la ville ou la tension Éros / Thanatos, voire l’histoire de la peinture elle-même.
A partir de 1968, la photographie prend une place importante dans son œuvre, avec de nombreuses séries, dont les fameuses 2000 photographies du sexe d’une femme qui l’ont rendu célèbre tout en lui conférant une sulfureuse réputation. Les photographies de Maccheroni se mêlent souvent à de nombreux collages ou découpages (Manhattan-gris) voire même à la pratique du photomontage (Vanités-Méditation).
Pour Henri Maccheroni, l’artiste n’est pas coupé du monde. Il est là pour l’interpeler et intervenir dans les grands choix sociétaux. Ainsi, durant les années soixante-dix, il va développer et théoriser « ses attitudes socio-critiques » qu’il portera au travers de différentes œuvres : L’Armoire aux bocaux, Cadeau pour les partisans de la peine de mort, etc.
Henri Maccheroni a également pratiqué la gravure (eau-forte, pointe sèche, manière-noire), comme il l’a montré à travers d’admirables ouvrages bibliophiliques parmi lesquels, on peut citer ce véritable livre monument, cet appel à la paix entre les peuples et les religions, Trêves et rêves, Jérusalem avec Michel Butor et Yehouda Lancri, préfacé par Shimon Peres.
Son engagement l’amène à fonder, en 1982, avec son ami l’écrivain Michel Butor, le Centre National d’Art Contemporain de la Villa Arson, dont il a assuré la direction pendant les trois premières années, léguant ainsi à la ville de Nice un des hauts lieux français de la création contemporaine.
L’amour du livre et de la bibliophilie d’art est une composante centrale dans l’œuvre d’Henri Maccheroni. Il a réalisé plus de cent soixante-dix ouvrages avec des écrivains, des poètes ou des intellectuels parmi lesquels on peut citer Pierre Bourgeade, Michel Butor, Raymond Jean, Bernard Noël, Alain Borer, Jean-Pierre Faye, Luc Ferry, Jean-François Lyotard, Denis Roche, Jean-Claude Renard, Raphaël Monticelli, Alain Freixe, etc. Cet amoureux du livre considérait que ce médium lui permettait de « fixer » certaines de ces séries et créer une sorte de « socle » pour son œuvre. Henri Maccheroni aimait d’ailleurs à dire « qu’il terminerait son œuvre sur des livres ».

Cette passion de la bibliophilie, il la partageait avec Jean-Paul Aureglia, grand animateur des Éditions de La Diane française. On pouvait donc s’attendre à ce que ces deux serviteurs de la « belle page » se rencontrent et travaillent de concert. Ce fut chose faite en 2010, où Henri Maccheroni vient se présenter à Jean-Paul Aureglia sur les conseils de Raphaël Monticelli et Alain Freixe. Avec la douce bonhommie qui lui est coutumière, Jean-Paul lui répondra : « ça fait des années que je vous attendais ». Très vite, les projets se mettent en route : un premier livre, L’intime, avec Jean Khalfa, dans la collection le Musée de poche, paru en 2012. Sept autres ont suivi, comme la Chauve-souris avec Robet Rovini, Enfants de chimère avec Claude Louis-Combet ou encore sexual stones avec Alain Freixe.

Henri Maccheroni aimait à saluer les qualités de Jean-Paul Aureglia en tant que éditeur-typographe et « metteur en page » et soulignait son admiration pour cet homme « qui est tombé dans la bibliophilie comme Obélix dans la potion magique. » Ces deux hommes partageaient bien un amour du beau livre. Il était donc normal que très vite s’engage un travail commun entre ces deux rêveurs de papier.

Bertrand Roussel

Docteur en préhistoire, Directeur adjoint du Musée d’Archéologie de Nice