Une pensée plastique en acte

L’œuvre de Maccheroni plonge d’emblée dans un océan de références – formes, matériologies, couleurs, signes – qui stimule autant que déconcerte. Vécue en une suite ininterrompue de ruptures et de défis, l’œuvre assume sa culture sans craindre ses propres contradictions.

Tessa Tristan

Écrivaine et critique d’art

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L’œuvre de Maccheroni plonge d’emblée dans un océan de références – formes, matériologies, couleurs, signes – qui stimule autant que déconcerte. Vécue en une suite ininterrompue de ruptures et de défis, l’œuvre assume sa culture sans craindre ses propres contradictions. Elle construit une conscience du temps et de l’histoire, les prenant en charge par les moyens spécifiques de l’art, en marge des frontières qui figent les genres. Pour ce faire, s’établit chaque fois une stratégie visuelle spécifique, aboutissant à un mécanisme formel capable d’apporter quelque chose d’autre à la compréhension. Être artiste, c’est d’abord s’autoriser à être, et donc s’autoriser à faire – dans l’exigence d’être soi : « Je ne cherche que ce dont j’ai besoin et n’emploie que ce qui m’est nécessaire. Si je ne trouve pas moi-même, je le prends ailleurs. Les hommes se doivent tout les uns aux autres (…) La connaissance objective est un fonds commun à tous les hommes. Nous sommes faits et pétris de tout ce que les hommes ont fait avant nous. Notre œil voit grâce à tout ce qu’ils ont vu » (in catalogue Maccheroni 100 œuvres, Maison de la culture Le Corbusier, Firminy, 1970, p. 5)
Tout au long de son œuvre, Maccheroni ne va cesser d’interroger les grandes figures de ses aînés pour mieux s’en démarquer, affirmant haut et fort la plénitude de son style

UN MÉCANISME FORMEL RÉGI EN SÉRIES

En homme libre, sûr de ce qu’il pense, il va organiser son œuvre à la façon d’une machine de guerre dont on peut suivre le fonctionnement. Maccheroni cherche d’abord à construire le mécanisme conceptuel dans lequel inscrire son propos. Photo, peinture, collage, lavis ou matière ne sont pour lui qu’autant de vecteurs d’expression subordonnés au seul impératif de faire sens. S’organisent alors les séries, chacune étant pensée comme l’équivalent d’une période – un circuit d’œuvres comme structuration du matériau qui s’auto-développe par suites, où tout élément déplacé d’une série peut se répéter ailleurs, de manière allusive ou hybride. Au croisement des techniques et des thématiques, chaque série affirme un angle d’attaque précis, rouage d’une ingénierie de rêve au sein d’un dispositif global où, çà et là, des pièces mixtes ou atypiques circulent. Ce processus permet d’opérer une révolution permanente dans l’œuvre – au sens d’objet en mouvement réalisant un tour complet sur lui- même – en se libérant de toute chronologie.

« Je fais de la peinture – par d’autres moyens ! »

LA PEINTURE AU CŒUR DU PROCESSUS

Dès ses débuts, dans ses différentes périodes post-surréalisantes (« Les Mondes Inachevés », « Nocturnes », et autres « Marginales ») au-delà du thème ou du motif, il cherche à peindre des forces en mouvement, les sensations vibratoires de formes organiques en pleine métamorphose. Il met au jour un monde parallèle, décalé, dont l’archaïsme légendaire caractérise une sorte de futur antérieur.

« Pas de peinture sans méditation. Travailler la matière picturale jusqu’à sa transcendance… Aller du signe au symbole, dans la plénitude de l’un et de l’autre… » : l’artiste pense sa peinture comme la recherche d’un ordre utopique entre homme et nature, espace du dedans et réalité sociale, appréhendés sous un angle documentaire comme autant de données d’un système dont il s’agit de dénoncer les contradictions et les impostures. C’est aussi une célébration de la vie dans son intensité dionysiaque. Les années 1968-74 sont, pour Maccheroni, d’une effervescence créative inouïe. Marqué par la formule de Vinci, L’arte è cosa mentale, il explore de nouvelles voies, d’autres media, renouvelle son langage pictural en procédant par équivalences, la peinture restant toujours au cœur de son dispositif créatif.

« Je fais de la peinture – par d’autres moyens ! »: sans renoncer à la peinture post-surréaliste mais conscient de ses limites, Maccheroni se lance dans l’aventure des « 2 000 photographies du sexe d’une femme » (1969-74). Si la singularité du sujet – le sexe de la femme – fait scandale, elle lui vaut cependant un début de reconnaissance. Ce désir fou d’atteindre sa forme la plus hantée, il va l’inscrire au cœur de sa pensée plastique, en une quête aussi éperdue que méthodique. Parallèlement, il réalisera des peintures politiques dont plusieurs Répressions dans les « Bleus et rouges » (1968-70) et intègrera l’objet dans « Les Attitudes socio-critiques » (1972), en tant que constats ironiques d’un présent passé au scalpel selon une esthétique délibérée de la contradiction. Démonstration optique que l’artiste assène avec une force brutale, la puissance de l’image socio-critique tient à sa concision. Dans les « Parcmétries » (circa 1973-75), l’horodateur met en regard deux images antinomiques et contingentes. Les « Actions pro-verbales » (1973) relient en pointillés le sexe et l’industrie comme termes essentiels de fonctionnement économique et social. Dans les objets des « Attitudes socio-critiques », l’ironie des titres fait tomber le voile d’idéologie que l’homme moderne, maniaque mental, projette sur la réalité de la civilisation occidentale, exhibant son tragique dérisoire (« Cadeau pour les partisans de la peine de mort » ; « L’Armoire aux bocaux » ; « La Condition humaine », 1972). Dans sa pratique d’un art socio-critique dont il s’affirme le principal concepteur, il met en tension toutes les ambigüités, les concentrant jusqu’à en faire une charge explosive au service de l’idée. « En Art, la solidarité, c’est le courage d’aller seul, de devenir une différence, une marge de tout » (…) pour atteindre par cette étude à la connaissance de soi et des autres » (in cat. op. cit. p. 7). Maccheroni croit en la force de ses mains pour projeter dans la multiplicité discordante du monde des lignes de force intellectuelles.

Tessa Tristan

Écrivaine et critique d’art