Une œuvre subversive

in numéro hors-série de la revue arTitudes international en collaboration artistique avec la librairie « Les mains Libres », mai 1973

François Pluchart

Écrivain, journaliste et critique d’art

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Lorsqu’on regarde avec quelque recul l’œuvre de Maccheroni, il apparaît vite que la tension profonde qui en articule les différents volets est d’ordre sociologique. Tout au long de son déroulement, les événements politiques et sociaux marquants sous-tendent l’expression, que celle-ci ait d’abord été picturale avant d’investir simultanément l’objet, la photographie, le collage ou toute autre technique propre à recueillir prioritairement le caractère mental de la pratique artistique.
Dès ses premières affirmations, le travail de Maccheroni a révélé sa fonction subversive. De là les refus successifs de l’artiste, ses exils, sa progression lente mais sereine vers une forme artistique qui, au terme d’une activité de vingt ans, se découvre aujourd’hui en prise directe avec la société.

Dès ses premières affirmations, le travail de Maccheroni a révélé sa fonction subversive. De là les refus successifs de l’artiste, ses exils, sa progression lente mais sereine vers une forme artistique qui, au terme d’une activité de vingt ans, se découvre aujourd’hui en prise directe avec la société. De là aussi que Maccheroni n’a jamais pris un train en marche ou adhéré, par exemple, au nouveau réalisme en contact duquel il était entré à travers son amitié avec Arman. Conscient que la création artistique est autant un principe de vie que l’établissement d’un coup de force destiné à prendre place dans l’histoire de l’art, Henri Maccheroni a su, non pas attendre son heure, mais la préparer méthodiquement par une accumulation d’acquis lui permettant aujourd’hui de s’inscrire parmi les artistes qui entendent orienter le cours de la décennie qui vient de commencer et dont on peut penser qu’elle sera capitale dans l’évolution de la société.

Deux thèmes majeurs : le corps féminin, notamment le sexe, et le corps urbain inscrivent essentiellement le caractère politique de l’œuvre de Maccheroni, mettent en cause la morale individuelle et collective, la pression sociale et technocratique sur l’individu qu’un pouvoir souvent aveugle tend à robotiser afin de le mieux asservir, enfin, la destruction de la terre des hommes au bénéfice de la capitalisation non moins aveugle d’une minorité devenue incapable de justifier sa finalité du profit.

Plus encore qu’à la mise en accusation des destructeurs de la nature, c’est aux destructeurs de l’homme que Maccheroni s’adresse…

La clarté de l’itinéraire artistique de Maccheroni vient paradoxalement de la complexité de son travail. En lui, tout est évident parce qu’il pèse directement sur les questions fondamentales de l’homme contemporain et de la société actuelle, mais en même temps son auteur ne se sépare jamais d’une analyse serrée des données artistiques présentes auxquelles il apporte à un haut degré de conscience sa part de déconstruction/restructuration.

Chaque moyen dont Henri Maccheroni s’est rendu maître est utilisé par lui à différents niveaux, de sorte que se créent des séries qui redéfinissent à chaque fois la totalité des ambitions de son travail. Prenons pour exemple les bocaux. Ceux-ci, après une première tentative avortée, ont d’abord permis la réalisation de Cadeau pour les par tisans de la peine de mort, pièce composée de trois récipients bardés de tricolore dont l’un est vide, en attente, et les deux autres contiennent une sorte de bouillie rouge renvoyant à l’exécution capitale de Buffet et Bontemps, en novembre 1972. A partir de là vont naître des pièces telles que The Brave New World, comprenant quatre bocaux portant respectivement les dates suivantes : 1873, 1973, 2073, 2173, et contenant chacun des galets, naturels et baignant dans une eau claire pour le premier, goudronneux et à moitié émergés pour le deuxième, peints en blanc pour le troisième et plaqués or pour le quatrième. Ici est décrit le passage de la nature accordée à l’homme qui l’habite vers un futur muséographique, archéologique, qui pourrait être demain le seul contact possible, celui du souvenir, lui aussi corrigé, rectifié, par le rationalisme. Une autre pièce contient des poupées disloquées comme un amas de foetus. Dans trois autres bocaux (Hématologie des corps constitués), des liquides respectivement de couleur pourpre, noire et kaki renvoient aux Eglises, à la Magistrature et à l’Armée.

Dans des oeuvres plus récentes encore, des bocaux contiennent des restes ravagés par le feu de reproductions de tableaux connus. Celles-ci ouvrent directement sur un autre volet du travail de Maccheroni, celui des Portraits corrigés, reproductions de portraits célèbres (Joconde, Mme de Récamier, etc) dont le visage a été remplacé par la photographie d’un fort agrandissement d’un sexe féminin. Dans son expérience plastique, Maccheroni ne peut s’interdire d’agir sur l’image, volonté qu’il précise aussitôt en se livrant à l’Analyse psycho-esthétique des mêmes portraits, c’est-à-dire à son négatif dessiné devenu réceptacle d’un sexe offert à la convoitise du regard.

Plus encore qu’à la mise en accusation des destructeurs de la nature, c’est aux destructeurs de l’homme que Maccheroni s’adresse. C’est pour cela qu’il agresse, qu’il jette du sang au visage des autres dans Cadeau pour les partisans de la peine de mort ou des foetus dans Orgasme et qu’il substitue aux archétypes de la beauté féminine des sexes qui finissent par devenir angoissants et monstrueux pour avoir été trop forcés dans leur intimité.
Qu’il s’agisse de dessins, de collages, d’assemblages d’objets, les images de Maccheroni s’appuient sur un principe perturbateur, sur l’agression, tantôt souriante, comme dans Action Pro-Verbale où l’artiste étale avec humour ses démêlés avec les garants de l’ordre auxquels il répond aussitôt en proposant une Rénovation du mobilier patriotique : les Grandes Médailles où des sexes rendent hommage aux services rendus, avant de développer selon une méthode dont on sait qu’elle lui est habituelle, ses mises en garde du Temps urbain : Parcmétries dans lesquelles l’aiguille enregistre aussi bien la durée des charges de police contre les manifestants de la rue que le temps disponible, alloué, pour tirer un coup.

L’oeuvre de Maccheroni agirait moins brutalement sans la charge d’humour dont elle est porteuse, mais c’est d’un humour grave qu’il s’agit, celui qui prend ses racines dans la spontanéité du rire et de la liesse populaire et qui bientôt se fige en une terrible mise en garde. Maccheroni dénonce toutes les entraves dressées contre l’homme par l’égoïsme d’autres hommes pour lui interdire d’accéder à sa part de bonheur, non celui des bagnoles et des télés d’une consommation à outrance (dont par parenthèse les vraiment pauvres, les parias de la société sont exclus) mais à celui qui est fait de liberté, de dignité, d’accession, par la culture, à la vraie connaissance et à l’intelligence qui permettent d’user de la vie d’une manière exaltante et harmonieuse, hors de tous les tabous sur le sexe, mon cul ! , etc. Le pari de Maccheroni comme celui des créateurs des diverses formes d’art corporel, sociologique et critique, est celui de l’avènement de l’homme adulte, celui dont précisément les défroques de la politique et de la technocratie ne veulent pas.

L’oeuvre de Maccheroni est un cri, parfois adouci par une complicité souriante avec soi-même, plus généralement violent comme un reproche, une insulte à ceux qui permettent le saccage de la nature et la mise à mort de l’homme par guillotine, perversion mentale ou par les duperies de la carotte d’une société baignant dans l’opulence généralisée. Elle est ainsi une tentative de destruction des mythes surannés, des tabous dressés pour garder la part du lion, des fausses morales, des fausses grandeurs, des faux dieux. On comprend mieux pourquoi ce travail a dû, avant de s’exprimer, passer par une lente maturation de la pensée On comprend mieux qu’il éclate aujourd’hui de toutes ses forces neuves parce que non affaiblies à courir trop tôt après une histoire de l’art qui s’incarne à chaque fois là où on ne l’attendait pas, précisément parce que celle-ci est la mise en langage, la codification en clair, des forces qui luttent contre les présupposés de l’histoire afin d’en orienter le cours.

François Pluchart

Écrivain, journaliste et critique d’art