Le sens du temps

On rencontre dans toutes les disciplines qui étudient les stratégies qu’utilisent des agents intelligents pour optimiser l’usage des ressources disponibles, en particulier dans les disciplines des sciences cognitives et de l’économie, un problème bien connu dit du « dilemme exploration/exploitation ».

Jean Petitot

Directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris

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L’exploitation est sûre. Elle repose sur la sélection et le perfectionnement de compétences déjà disponibles et de paradigmes déjà institués et elle vise des bénéfices rapides et prévisibles. Au contraire, l’exploration de nouveautés est risquée et incertaine. Elle expérimente de nouvelles voies et repose sur la recherche, la découverte, l’innovation.

L’analyse de ce problème est devenue centrale car les études empiriques, théoriques et modélisatrices montrent qu’il est très difficile de trouver un bon équilibre entre exploration et exploitation, d’où précisément le nom de « dilemme ». La pure exploitation devient vite répétitive et sclérosante. Elle est certes plus efficace à court terme, mais elle se révèle autodestructrice sur le long terme. La pure exploration, en revanche, risque de dériver vers une dispersion éclectique.

Henri Maccheroni fait […] partie des artistes qui ont beaucoup exploré les différentes techniques plastiques : matériologies variées, peinture, gravure, céramique, photographie, lavis, collage, dessin. Cela lui a valu quelques reproches d’éclectisme…

Ce dilemme universel se rencontre aussi en art et même avec insistance dans l’art contemporain où il se couple souvent à l’opposition entre les techniques ou procédés et les contenus thématiques. Nombre d’artistes associent l’exploitation répétée de techniques limitées à l’exploration dispersée de contenus : ils inventent initialement un certain procédé à partir duquel ils balaient ensuite extensivement les thèmes les plus divers. Toujours identique à lui-même, le procédé technique devient alors comme leur signature et ce qu’ils explorent est surtout la possibilité d’apposer cette signature sur divers contenus faisant partie du patrimoine culturel commun à leur public.
Henri Maccheroni fait au contraire partie des artistes qui ont beaucoup exploré les différentes techniques plastiques : matériologies variées, peinture, gravure, céramique, photographie, lavis, collage, dessin. Cela lui a valu quelques reproches d’éclectisme. Mais la richesse de l’exploration et de l’expérimentation innovante et risquée des techniques va de pair chez lui avec l’approfondissement d’un nombre resserré d’intensités conceptuelles. C’est le questionnement et la pensée qui constituent chez lui l’exploitation venant équilibrer l’exploration. C’est de quelques problèmes existentiels vitaux qu’il cherche de multiples traductions plastiques.

C’est sans doute dans ce sens qu’il faut interpréter l’insistance d’Henri Maccheroni sur le fait que ses œuvres sont de la « pensée », la peinture étant pour lui « l’un des systèmes de la pensée », système possédant ses propres moyens et ses propres techniques.

L’art comme système de pensée

C’est sans doute dans ce sens qu’il faut interpréter l’insistance d’Henri Maccheroni sur le fait que ses œuvres sont de la « pensée », la peinture étant pour lui « l’un des systèmes de la pensée », système possédant ses propres moyens et ses propres techniques. Quand il explique qu’il s’agit pour lui de « traiter » le réel, de « l’annoter » poétiquement, il affirme, je pense, qu’il s’agit pour lui d’encoder sémiotiquement dans l’exploration de systèmes de signes quelques-unes de ces Idées transcendantes, aussi existentiellement profondes qu’indéfinissables dans leur réalité, “indicibles”, “inexprimables”, “ineffables”, comme le temps ou le sacré.
Dans son bel ouvrage de 2005 Dioptrique(s) dans l’œuvre d’Henri Maccheroni, Tessa Tristan parle à propos de l’opposition entre technique et pensée de leur « réconciliation » qui s’opère « lorsque la nature donne ses règles à l’art à travers l’artistes créateur » (p. 19). Cette intéressante remarque me fournit ici l’occasion d’une petite considération philosophique kantienne car en fait il s’agit d’une problématique originairement due à Kant. Dans la Critique de la Faculté de Juger, Kant explique que dans l’esthétique authentique, l’art, par le génie, transcende la simple application de règles et de préceptes pour se hausser au niveau de la Nature productrice des merveilleuses formes naturelles que nous pouvons partout observer. L’art ne peut pas se réduire aux recettes d’un savoir-faire. Il doit être à la fois « original » et « exemplaire » et résulter de règles « naturelles » et inconscientes. D’où la définition du génie comme cette « faculté productive innée de l’artiste » à travers laquelle « la nature prescrit sa règle non à la science mais à l’art ».

C’est ainsi que l’art permet de symboliser, au moyen de ce que Kant appelait des Idées esthétiques (c’est-à-dire des Idées se rapportant à des intuitions sensibles sans contenu conceptuel explicite et intelligible), ces concepts transcendants sans intuitions schématiques que sont les Idées de la Raison (rappelons que pour Kant les Idées de la Raison s’opposent par leur infinitude inconditionnée aux concepts de l’entendement fini et n’ont rien à voir avec ce que l’on appelle aujourd’hui la « rationalité »). En effet celles-ci sont des contenus sans figures alors que celles-là sont des figures sans contenus. Par une sorte de chassé-croisé, la symbolisation remplace, d’une part, l’intuition sensible faisant défaut aux Idées de la Raison par l’intuition sensible propre aux Idées esthétiques et, d’autre part, le contenu faisant défaut aux Idées esthétiques par le contenu propre aux Idées de la Raison.
En termes sémiotiques, on pourrait dire que c’est parce qu’elles ne sont pas des contenus articulables en significations intelligibles explicites par une forme du contenu propre (d’où l’aspect “indicible”, “inexprimable”, “ineffable”), que les Idées de la Raison doivent prélever leur forme du contenu sur des figures du plan de l’expression d’une sémiotique figurative. En ce sens, les œuvres symbolisantes opèrent comme des formes de l’Idée qui rendent perceptible l’indicible et visible l’invisible.
L’esthétique romantique (Goethe, Schiller, Schelling, les Schlegel, Hölderlin, Novalis, Kleist, Coleridge, entre autres) actualisera les thèses de la philosophie critique. Elle est présente jusqu’à Proust et Valéry et, comme l’a souvent expliqué Jean-François Lyotard, l’abstraction moderne relève essentiellement d’une esthétique kantienne du sublime.

C’est dans ce contexte qu’il faut situer la thèse que le génie s’identifie à la nature dans l’esprit et permet de transformer des vécus existentiels en formes de connaissances. L’artiste est un savant à travers son corps affectif. En lui fusionnent le corps et l’esprit, l’image et l’idée, l’émotion et la notion, l’impression et l’expression, le sentir et le connaître, le sujet et l’objet. Cela à travers une « naturalité » irréductiblement individuelle que l’artiste porte à l’universalité et, comme le notait Proust dans sa correspondance, « à la pleine lumière de l’intelligibilité ». C’est du style qu’il s’agit ici. Le style d’un artiste est comme la « langue » de sa patrie perdue, langue « étrangère » dont il se fait le « scribe » et qui lui permet de reformuler la réalité.

L’Idée du temps et le signe

Sans doute que l’Idée qui confère son unité à l’œuvre d’Henri Maccheroni est celle du temps, non pas le temps comme simple intuition pure, non pas le temps comme simple historicité, mais le temps comme horizon indépassable de l’existence et de la culture. Dans une certaine mesure, tout son œuvre peut se lire comme une mise en signe (un encodage sémiotique) du temps.

Le terme clé qui recouvre chez lui temps et signe est celui d’archéologie. Il se décline en deux dimensions :

(1) l’Archéologie du signe qui, depuis la série de 1976 portant ce titre, est constamment présente dans l’œuvre,

(2) l’archéologie au sens plus classique des traces et des ruines laissées par les civilisations de l’Antiquité, en particulier les villes, les villes et leurs signes étant au centre d’un rapport à la culture et à l’histoire dominé par la mélancolie poétique des mondes disparus.

L’aventure de la peinture comme « archéologie » commence en 1976, à une époque où notre artiste expérimente, dans le contexte des provocations sociales et politiques avant-gardistes du moment, ses objets socio-critiques et ses séries érotiques. Emerge alors une dimension réflexive et théorique conjuguant l’abstraction à la temporalité. Comme l’écrira Raphaël Monticelli dans son texte de présentation (repris dans Essais sur l’Archéologie du signe, L’Harmattan, 2008, p. 51), l’Archéologie du signe « va fonctionner comme une sorte de laboratoire plastique de recherche en sémiotique ».

Dans mon propre texte Genèse consacré à cette série fondatrice (idem, pp. 93-101), j’ai analysé les moments de cette genèse du signe pictural : le geste initial d’une discontinuité qualitative tracée sur la toile : les discontinuités qualitatives sont le fondement des bords, des contours, des cernes, et par conséquent de toutes les formes possibles ; la conversion des discontinuités en coupures matérielles de la toile support ; la substitution physique des domaines de la toile remplis par des qualités sensibles de couleur et de texture par des pièces détachables ; la recomposition de l’unité de la toile par la couture des coupures, couture-laçage introduisant une connotation érotique et charnelle dans ce jeu abstrait et idéel ; le choix des trois formes de base +, x, o ; le choix des sept qualités de couleur-texture ; l’ouverture de cette structure de base à la sérialisation et à la combinatoire compositionnelle. A travers ces opérations matérielles, c’est une sorte de parcours génératif de la production possible de sens qu’Henri Maccheroni met en forme.

 

Les villes et l’archéologie

Le lien qu’Henri Maccheroni manifeste aux villes dans son œuvre est assez complexe. Il y a d’abord la ville actuelle comme ville-signe, retraitée par l’abstraction. C’est la ville comme livre, comme texte, la ville ponctuée d’insignes, d’icônes et d’emblèmes qui, comme le souligne notre artiste, ne sont pas des « ornements » mais des « désignations » ; la ville des séries New-York First-Time (1979-89), Stèles pour une ville (1988-91), Manhattan-gris (1980-82), Paris ville-ténèbres (1998-99), Les Emblèmes de la ville (1990-93).

Personnellement, une des séries qui me touche le plus est celle des Manhattan-gris constituée de montages où se tressent une composition géométrique abstraite peinte et une photographie de gratte-ciels vus en contre-plongée. La composition abstraite, bidimensionnelle, constituée de lignes et de plans, est évidée par une grille d’étroites bandes parallèles à travers lesquelles s’entrevoit sur une photographie la perspective tridimensionnelle réelle de Manhattan. Comme le formule Tessa Tristan (Dioptrique(s), p. 126), on se trouve confronté à des « morceaux d’un réel éclaté articulé avec des bandes peintes dans une abstraction géométrique caractérisant la perception, où la photographie se retrouve traversée par le fantôme de la peinture ».

Deux structurations géométriques de l’espace s’intriquent donc, celle, idéelle, d’une abstraction géométrique, celle, concrète, d’une ville moderne. Mais le présent de la ville-signe a pour destin de devenir celui d’une ville-trace, d’une ville-ruine. Nos villes sont les futures ruines de nos descendants, nous serons, et nous sommes déjà, une archéologie. Ce rapport d’Henri Maccheroni à l’historicité de la culture fait penser à ce que disait Walter Benjamin dans Passages. Le temps disjoint le présent vivant de la création poétique d’avec les œuvres qui en résultent et qui n’en sont que la trace. En ce sens, toute œuvre est toujours-déjà une ruine.

Le travail d’Henri Maccheroni sur les villes modernes contemporaines se retrouve ainsi inséparable d’une réflexion, cette fois archéologique dans le sens le plus classique du terme, sur les cités mythiques et légendaires de l’Antiquité : les sites pharaoniques, puniques et romains, Jérusalem, l’abbaye de Jumièges, etc. sont des étapes de ce parcours. Mais l’archéologie classique se boucle sur l’archéologie du signe car, pour Henri Maccheroni, les ruines se sémiotisent en signes abstraits qui, en quelque sorte, sont comme une « écriture » du temps. Ainsi qu’il l’exprime, il s’agit de conceptualiser par des signes l’idée même d’archéologie classique. Les ruines sont des fragments à travers lesquels s’hallucine ce qui fut autrefois un présent.

D’où l’extraordinaire force du sentiment de la mélancolie des ruines. Depuis Les Antiquités de Rome de Joachim Du Bellay (1558) jusqu’à aujourd’hui, ce sentiment a été une constante de l’art. Il ne se réduit pas à la seule nostalgie du passé et à l’expérience des empires écroulés et engloutis par le temps. Ce n’est pas seulement le « J’eus un rêve : le mur des siècles m’apparut » qui ouvre la Légende des siècles de Victor Hugo. Il comporte aussi une épreuve sémiotique très originale. Du Bellay disait déjà magnifiquement : 

« Nouveau venu qui cherche Rome en Rome
Et rien de Rome en Rome n’aperçois, […]
Rome de Rome est le seul monument, […] » (Sonnet 3)

et aussi

« Rome fut tout le monde, et tout le monde est Rome,
Et si par mêmes noms mêmes choses on nomme,
Comme du nom de Rome on se pourrait passer,
La nommant par le nom de la terre et de l’onde :
Ainsi le monde on peut sur Rome compasser,
Puisque le plan de Rome est la carte du monde. » (Sonnet 26) 

La poétique des ruines est liée au fait que les ruines d’une ville sont comme la carte de son empire. Et c’est dans cette ambivalence qu’Henri Maccheroni peut, me semble-t-il, passer de l’archéologie réelle à l’archéologie du signe et intervenir par un « acte poétique » de façon « contemporaine » sur l’Antiquité en prenant pour éléments de compositions abstraites des fragments, des stèles, des emblèmes, des traces, des tessons, comme il le dit dans son exposition de 2010 au musée de paléontologie humaine de Terra Amata à Nice, tout cela « sous l’égide du memento mori« .

Les séries des Egypte-bleu (1977 et 1986) et des Puniques (1979-80) sont exemplaires de cette opération que Bernard Noël appelait « l’appropriation […] de l’histoire par les moyens de l’art ». Pour les premiers, des aplats géométriques rouge antique sur lesquels se superposent par transparence des motifs également géométriques, de l’autre, des textures de bandes bleues sur fond de sable. J’aimerais aussi évoquer les étonnantes Pierres du Temple (1992-94) où les motifs de l’Archéologie du signe se trouvent incrustés dans un papier très rugueux et irrégulier recouvert de gesso mélangé à des ocres rouges de Roussillon et à du sable fin. On y voit fonctionner à la perfection l’opération sémiotique par laquelle des signes deviennent des vestiges de civilisations englouties.

 

Le temps des vanités

 

Le « memento mori« , le rapport mélancolique au temps comme œuvre de disparition, correspond traditionnellement en peinture au thème des « vanités ». Il n’est donc guère surprenant qu’Henri Maccheroni se soit particulièrement intéressé au motif du crâne qui l’emblématise. Il s’agit d’ailleurs d’un remarquable exemple d’opération sémiotique.

Dans les vanités d’Henri Maccheroni, ce n’est plus comme motif que le crâne opère mais comme forme pure, comme cadre. Dans la dualité fond/forme constitutive de toute perception d’objet, il fonctionne comme un tiers-terme, comme un terme médiateur, à la fois fond et forme. Relativement au fond de la toile, il fonctionne comme une forme. Mais relativement à ce qui s’y trouve inscrit, il fonctionne comme un fond, comme un cadre, un contour, un cerne, un cartouche destiné à mettre ce contenu en valeur. On pourrait dire que le crâne fonctionne dans ces œuvres de façon méta-figurative. Il ajoute à ce qu’il circonscrit la connotation « vanité » et, dans la mesure où tout peut s’y inscrire (des fragments de l’œuvre du peintre lui-même jusqu’à des photographies), il confère au tout une unité sémiotique.

Henri Maccheroni appelle ce motif figuratif épuré en contour-cadre un « module » signalétique. Par sa connotation, un tel module annote ce qui s’y trouve. Il y a une trentaine d’années, le peintre remarqua un crâne dans un magasin de fournitures médicales de la rue de l’Ecole de Médecine à Paris. Il en fit une photographie qu’il détourna avec humour en y insérant l’inscription « TEL QUEL » à la place des orbites. Puis, progressivement, il lui apparut que la forme du crâne était suffisamment caractéristique pour être immédiatement identifiable. C’est alors qu’il en fit un module méta-figuratif pouvant transformer toute inscription en vanité et permettant, ce faisant, d’effectuer en quelque sorte l’archéologie de sa propre œuvre. Avec ce contour méta-figuratif, comme le dit Tessa Tristan (Dioptrique(s), p. 72), l’œuvre « contient en elle-même son propre commentaire. »

 

Le temps de l’histoire

 

Peut-être que la manifestation la plus percutante de ce rapport au temps à travers une archéologie du signe est l’étonnante exposition de 2010 au musée de Terra Amata de Nice. L’ouvrage Les Temps suspendus qu’Henri Maccheroni lui a consacré avec son complice Michel Butor et le préhistorien Bertrand Roussel (Editions Mémoires Millénaires, 2010) est de toute beauté.

Ces regards croisés se focalisent sur trois sites relevant d’échelles de temps très différentes : la Vallée des Merveilles, 5 000 ans avant J.-C., Terra Amata, 400 000 ans, le plateau de Saint-Barnabé, 150 millions d’années. On y voit l’archéologie du signe annoter poétiquement non plus les villes antiques et leurs civilisations mais l’épaisseur préhistorique même de l’humanité.

Le plateau de Saint-Barnabé situé près du col de Vence est un site qui est intervenu très tôt dans la réflexion d’Henri Maccheroni puisque dès 1974 il l’appela avec Michel Butor le « Parlement des idoles » et photographia ses curieuses formations géologiques et reliefs calcaires ruiniformes du jurassique supérieur. Toute une diversité morphologique de cannelures, de rigoles et de cuvettes s’y enchevêtrent en une sorte de texte venu des temps géologiques.

Le site de Terra Amata est un gisement acheuléen datant du Paléolithique inférieur et constitue la première trace de la domestication du feu. Henri Maccheroni y réagit par une puissante série sur la préhistoire entièrement composée de lavis rehaussés où, dans le module du crâne, se trouvent inscrits d’une part des fragments de sa propre œuvre et d’autre part des restes de ces temps préhistoriques. L’unité du motif méta-figuratif vient ainsi souder le présent de l’artiste à l’origine de l’homme.

Mais c’est sans doute avec le site de la Vallée des Merveilles, dans la vallée de la Roya dominée par le Mont Bego, que l’interaction est la plus profonde. En effet, à la fin des années 1960 on y découvrit 40 000 splendides incisions rupestres s’étalant de l’âge du cuivre à l’âge du bronze et composées de figures étonnamment abstraites gravées par piquetage sur des schistes et des grès. Pour Henri Maccheroni, il y avait là une possibilité de jonction exceptionnelle entre son Archéologie du signe et la préhistoire effective des signes. Il conçut une série de lavis rehaussés où il inséra sa propre archéologie +, x, o dans les motifs protohistoriques. L’opération est encore plus radicale que celle de Terra Amata puisque l’unité ne s’effectue plus à travers un module méta-figuratif mais dans la concrétude même des signes, comme si le Henri Maccheroni inscrivant sur la toile les conditions de possibilité du signe se confondait finalement avec l’homme originaire des gravures rupestres.

 

Conclusion

 

Je commençais mon texte Genèse sur l’Archéologie du signe (L’Harmattan, 2008) en disant que « dans l’art abstrait moderne les œuvres fortes […] sont soumises à une loi analogue à la loi de Haeckel en biologie évolutionniste et développementale, loi suivant laquelle l’ontogenèse doit récapituler la phylogenèse ». Je nommais « genèse » cette loi de récapitulation et je développais la thèse que « pour l’œuvre d’Henri Maccheroni l’Archéologie du signe représente le moment de la genèse ».

Avec les « Temps suspendus » de Terra Amata et de la Vallée des Merveilles, Henri Maccheroni a accompli lui-même la récapitulation puisqu’il a réussi à identifier l’ontogenèse de son rapport au signe à la phylogenèse préhistorique du signe. Il a signé son sens du temps.

Tessa Tristan

Écrivaine et critique d’art