De l’origine à la source

L’œuvre de Henri Maccheroni

Il est toujours intéressant et éclairant d’interroger la source conceptuelle d’une œuvre, surtout quand elle est multiforme et plurivalente. Ainsi en va-t-il du travail de Henri Maccheroni qui semble avoir été porté par un esprit de recherche appliqué à de nombreux domaines du savoir et de la représentation. Un fil directeur se présente : la question de l’origine, ce qui décèle une volonté de repousser les limites et le seuil du sens. « Archéologie » est donc le titre qui fédère le mieux la nature de cette création : une parole incarnée dans les affrontements de l’abstraction et de la figure, tels que nous en sommes, nous-mêmes, l’image. Car plus il y a de paradoxe, plus il y a d’humain.

Tita Reut

Critique d’art et poète

Michel Buto et Henri Maccheroni

La notion de temps, qui structure l’œuvre en général, trouve son pivot dans ce parcours, régi par la notion de genèse. Regard sur les sites puniques, de Carthage à Duga, sur les ruines pharaoniques d’Egypte, ou sur les vestiges des trois âges premiers de l’homme : l’âge des métaux dans la Vallée des Merveilles, le Paléolithique inférieur sur le site de Terra Amata, le Jurassique supérieur sur le fantomatique plateau de Saint-Barnabé, nommé « Parlement des Idoles »par Michel Butor.

Un autre type de « fouille » est consacré à l’activité sociale, à travers les images de la cité en tant que symbole à la fois pérenne et menacé. Problématique de la vitalité architectonique et de la fragilité de tout projet, confrontés à la marche des éléments et de la durée. Face à ce constat, Henri Maccheroni pose et pause un regard de témoin fasciné. De Jérusalem à New York, en passant par Paris ville-ténèbres

On comprend, tant par ses thèmes que par leur traitement, combien l’unité de cette œuvre trouve son plus petit commun multiple dans la notion de source.

Trois modes de représentation sont en acte : la peinture (Archéologies blanches, Carrés bronze, Terres étrusques, Egypte-bleuNew-York First-Time ), le dessin et l’estampe – eau-forte, burin, manière noire – (interprétation des peintures rupestres, Jérusalem), enfin, la photographie (Louxor, Manhattan-gris , Paris). Hormis dans la peinture, c’est le noir qui structure le travail du temps, à travers le dessin, l’estampe et la photo. Creusement morphique, épuisement de la matière, la nature à l’œuvre, comme la main de l’artiste, soutenant singulièrement la forme par l’évidement. Notre œil égaré dans une illusoire mimesis. La masse rompue livre la première apparence d’expression : réajustée par la vision de l’homme, lecteur légitimant toute métamorphose, même aléatoire. Au-delà, le langage que le plasticien réinvente à partir des graphies préhistoriques : marque d’un passage, ou appel liturgique… Le crâne devient alors la demeure. La croix et la ligne l’investissent, y pointent les repères. La pensée de l’être devenue axe et carrefour, pont sur l’abîme et passerelle entre. Les fonds de ces représentations, lavis ou technique mixte, incorporant parfois des cires, produisent le simulacre de la pierre, de la terre, matières matricielles où l’homme inscrivit sa calligraphie initiale et sa conscience du sacré. Lieu d’un retour qui fonde la conscience.

Nous sommes, au sein de cette œuvre, affrontés à l’innommable, tel qu’il s’établit à la source de la vie. Rien de décoratif, donc, ce que manifeste la collaboration de Henri Maccheroni avec une liste réjouissante de poètes et d’écrivains, de philosophes, de penseurs et de chercheurs… Une œuvre qui impressionne tant cet art de figurer impose, ici, le questionnement.

On pourrait même analyser une partie de cette œuvre par la problématique géométrique : New York « alignée » par les découpes et le miroitement, dans une tension polarisée sans début ni fin : l’énergie de la poussée terrestre exprimant l’assaut d’une activité humaine ininterrompue.

Rondeur, en revanche, des vues de Paris, ouvrant ses ruelles et son mystère à la saccade des pavés et de la lumière. Energie de l’une, dérision tendre de l’autre, les deux capitales synthétisées par un exercice du noir… La ville prise entre deux opposés originels.

On retrouve la même incorporation dans la peinture. Tonalité guerrière, dynamique et dynamisante, dans Défense d’afficher ou dans l’évocation de New York la bâtisseuse. La superposition des lignes y manifeste la structure volontaire que les groupes mettent en œuvre pour gravir et croître dans la démesure. Figuration opposée, celle des Egypte-bleu où le noir, quand il apparaît, agence, non par une tension mais par une profondeur. La couleur sourd, émane, monte vers le spectateur comme un ciel s’impose ou qu’une eau affleure. On y perçoit le Nil et sa vocation fertilisante, le bleu du haut transcrit dans l’émanence du bas… Les compositions rencontrent l’idée d’une écriture, sorte de cartouches donnés à lire…

On comprend, tant par ses thèmes que par leur traitement, combien l’unité de cette œuvre trouve son plus petit commun multiple dans la notion de source. Si troublante, cette identification patiente que le créateur fait avec son sujet – car ce sont de vrais sujets qui habitent cette œuvre – à travers les graphies imaginaires, les auras terriennes des crânes, les vertus montantes ou transversales des trajets humains.

Et l’on se souvient de cette autre obsessionnelle question posée au pouvoir de la personne, au sexe de la femme, ambivalent, livré. Autre « origine du monde », quand on pense que l’axe qui traverse et qui nous tient, part de l’orifice du crâne jusqu’au rivage de cette autre bouche : celle qui délivre la vie…

 

A Paris, le 15 janvier 2011