Henri Maccheroni, l’échappée belle

Tâche d’en sortir. Va suffisamment loin en toi pour que ton style ne puisse plus suivre.

Henri Michaux

Alain Freixe

Poète

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1-

S’échapper, partir ! Ah, partir ! Quitter Nice…y revenir.

Saluant ici Henri Maccheroni, j’aimerais rendre hommage à celui qui l’aida à mettre la poésie au centre actif de sa vie, Robert Rovini, fondateur avec Paul Mari et René de Cugis de ce Club des jeunes à Nice dont certains se souviennent encore. Henri Maccheroni y apprit  au moins trois choses et donc quatre si l’on en croit Alexandre Dumas : d’abord qu’il fallait se méfier de ce qu’un œil pouvait avoir de tout fait ; ensuite, qu’il fallait toujours tendre vers ce « siège éblouissant des vents » où se tiennent, insoumises, nos sources intérieures ; enfin que la poésie était mère de tous les arts et pour terminer que dans la vie d’un artiste esthétique et éthique ne faisaient qu’un.

Disparaître, s’arracher aux tutelles pour mieux s’approcher de soi, pour mieux se tenir près de soi.

2-

Henri Maccheroni, le discret. Le croiront ceux qui par delà les bonnes manières, le tact bien sûr, insisteront sur l’aspect souriant et séducteur du personnage public mais il y a, avant tout cet effacement, dans le travail, qui fait sortir de soi – « fuir, c’est créer » disait Gilles Deleuze –  et s’abandonner au passage de l’autre en soi.

Tôt, Henri Maccheroni sut entrer en dissidence. Quitter le mur où nous sommes épinglés par les codes dominants, les significations régnantes. « Devenir une différence, une marge de tout », écrivait le peintre dans ce Conciliabule qu’il publia avec Louis Evrard., jouer le déséquilibre qui porte et jette en avant.

Savoir disparaître, art du camouflage, art de combat, « l’action restreinte » de Mallarmé : limer, saper, passer le mur. Sortir. Dehors. Echapper à soi, aux autres, au monde. Parce que dans sans visage, il y a cent visages !

 

3-

 

C’est bien ce qui frappe chez Henri Maccheroni, cette fidélité à son horreur du tout fait, à vouloir se garder « les mains libres » – Ah ! la galerie de Jean Petithory ! – du déjà fait, de la répétition, des procédures stériles qui pour être propres à la marchandisation ne vont pas avec la subversion et l’élargissement de la sensibilité. Aussi reste-t-on étonné devant les changements de techniques et de langages : faut-il les citer : peintures, dessins, photographies, collages, gravures, lavis, raku… – la multiplication des thèmes abordés/variés/modulés en séries et sous-séries, toujours ouvertes, toujours proliférant dans les dessous en rhyzome ou s’apprêtant à stolonner à côté, ailleurs, plus loin, depuis « les mondes inachevés » de 1963 aux archéologies réelles et/ou virtuelles, des vanités aux enfers, d’Eros à Thanatos, de la ville et ses emblèmes à la femme, son sexe et ses blasons, les attitudes socio-critiques avec l’humaine condition toujours prise en compte depuis 1962, Charonne et son temps des assassins…

Mais où est donc Henri Maccheroni? Je demande à ceux qui mieux que moi le connaissent : vous y arrivez vous à le trouver, Henri ? A quoi pourrait-on le reconnaître ?

 

4-

En général, c’est à leur style qu’on dit reconnaître les créateurs. Oui mais voilà Henri Maccheroni est sans style. Et heureusement !

Le style ? A son propos, on se souvient peut-être d’Henri Michaux qui parlait, à son propos, « d’infirmité » tant cette « suspecte acquisition » va coller à lui jusqu’à le scléroser. Le style enferme le créateur dans une vie d’emprunt où s’est perdue toute possibilité de changement, de mutation. Ah ! il devient visible ! On le voit. On le reconnaît. Mais c’est alors sous forme d’image. De fantôme.

Henri Maccheroni n’est pas un revenant mais un toujours venant.

 

5-

A privilégier tel ou tel moment, on raterait le disparu, car c ‘est à disparaître qu’a travaillé Henri Maccheroni qu’il l’ait voulu ou non. C’est la création et ses exigences qui l’ont emporté : disparaître aux yeux des lois sociales du marché. Création / soustraction. Se soustraire au monde comme il va. Se tenir à part, sera-ce là la condition pour s’appartenir. Séparé. A part, on se retrouve, on arpente les chemins vers la maison, à épouser et à ne pas épouser comme le disait René Char.

 

6-

Disparaître, s’arracher aux tutelles pour mieux s’approcher de soi, pour mieux se tenir près de soi. Ce disparaître là n’est pas manière de se quitter, de s’anéantir mais au contraire de s’approcher de cet autre en soi qui cherche à dire ses points d’émergence. Manière de rejoindre l’oubli, si « l’oubli est le pays natal » comme l’écrit Bernard Noël.

 

7-

Comme Orion dans le tableau de Nicolas Poussin ne parvient au soleil levant qu’au prix de son effacement, Henri Maccheroni disparaît dans ses enjambées. Mais, marqué, le chemin demeurera tracé. Henri Maccheroni nous laisse chemin et traces, son avancée au cours de laquelle il aura découvert l’espace qu’il a bâti. Si Orion est aveugle, c’est dans la mesure où sa cécité est l’avenir de sa marche. Chaque pas ouvre sur un futur possible mais inconnu. Disparaître au matin dans le bleu revenu n’est pas mourir. Pour Orion, c’est être passé de l’autre côté des représentations communes, figées en leurs stéréotypes où paraître, c’est toujours comparaitre aux yeux du jour comme l’accusé au tribunal.

 

8-

Ainsi vont les séries : des devenirs contre l’histoire, des paroles contre le discours, une voix contre le style. La série chez Henri Maccheroni apparaît certes quand le thème est si inépuisable qu’il ne se laisse pas objectiver comme s’il résistait au système de la représentation. Si la série a affaire au temps, elle n’est pas la période ni le cycle qui comme la période commence et finit mais raconte en plus une histoire où le sens s’accomplit. Et tout se ferme.

La série est incomplète non par accident mais par nature. Elle nous engage dans une dérive sans fin. Interminable, le sens est du côté de la promesse ainsi reste-t-il toujours ouvert.

 

9-

Henri Maccheroni travaille ainsi depuis le commencement dans l’inachevé/inachevable fort d’  « un goût d’avant le monde » comme le lui disait Robert Rovini. Tout se passe comme s’il avait su voir dans ce qui, tourné vers nous, nous regarde, un toujours premier matin !

 

10-

Et pourtant les œuvres d’Henri Maccheroni font une œuvre, non ? Les variations sont continues. Qu’en est-il de ce continuum ? Tout se passe comme s’il y avait un moment dans la série où survenait un conflit. Un conflit productif et non simplement produit. Quelque chose qui serait de l’ordre de l’éclair, celui qui venant d’autre chose, annonce autre chose.  C’est l’émergence soudaine d’une force qui pousse à variation. Inattendue et créatrice.

 

11-

Et telle est la manière d’Henri Maccheroni pour dérégler, dépayser, déplacer,  transposer, permuter…et s’arracher par là à ce que la structure représentative a de figé. C’est la faire bouger. L’entrouvrir. La faire bâiller.

Si « l’érotisme, c’est quand le vêtement bâille », comme le disait Roland Barthes, alors puisqu’il s’attache à faire bâiller la représentation, on se trouve fondé à affirmer que tout est érotique chez Henri Maccheroni !

 

12-

Une œuvre, avons-nous dit mais alors comme un tout non un ensemble pour le dire avec Gilles Deleuze si l’on se souvient de son affirmation selon laquelle « le tout est de l’ordre du temps, il traverse tous les ensembles ». En effet, soit on prend l’œuvre d’Henri Maccheroni comme un ensemble alors on va distinguer des parties – on l’a dit, ni des périodes, ni des époques, ni des cycles mais des séries s’il faut nommer les moments du labyrinthe macchéronien – et cet ensemble sera égal à la somme de ses parties. Alors il se ferme sur lui-même ; soit on la prend comme un tout, et on insiste alors sur la force qui traverse les séries, celle qui perce et force passage de l’une à l’autre ; qui rhyzome ou stolonne à partir s’une série pour en former une autre, à côté, plus avant, qui transforme, dans sa verse, une série dans une autre.

 

13-

Les séries d’Henri Maccheroni sont comme autant de bornes qui ne bornent pas, ne cadrent que l’écart, l’affût, la préparation au bond, au saut de côté. De ce côté-là sont nos lointains, inatteignables bien sûr, nous vouant à une marche interminable au point que « la mort cueillera un fruit encore vert ». S’il y a du beau chez Henri Maccheroni, c’est là qu’il se tient,  toujours et encore, dans ce qui nous trouble et nous jette à côté des routes du bon sens que suivent les gens, ceux qui à suivre le cours habituel du monde répètent et recommencent la mauvaise vie telle qu’elle est !