Archéologies
Dans l’immense champ des « Archéologies », l’abstraction géométrique
épure des formes archaïques.
L’archéologie virtuelle d’Henri Maccheroni
Raphaël Monticelli
Ecrivain et critique d’art
Nous sommes dans les années 70 (1972, peut-être ?) quand Henri Maccheroni utilise pour la première fois, à propos de son travail d’artiste, le terme de « l’archéologie virtuelle », aussitôt repris par Jean François Lyotard…
Nous sommes dans les années 70… Autant dire avant les balbutiements de l’informatique individuelle, et encore loin de la « réalité virtuelle », et encore plus loin de ce que nous nommons aujourd’hui, « archéologie virtuelle »…
Allez chercher sur l’internet… Vous y trouverez toutes sortes de « visites virtuelles » et de « reconstitution virtuelles » de sites archéologiques. Chaussez les lunettes digitales, et vous pourrez vous promener dans les rues de Pompéi ou celles de l’Arles antique…
On aura compris que ces nouvelles technologies n’ont pas grand chose à voir avec ce qu’entendait Henri Maccheroni, quand il se désignait comme « archéologue virtuel »…
L’archéologie et l’art faisaient déjà bon ménage… comme elles le font depuis des centaines d’années… Pour rester dans le contexte des années 60-70, des artistes comme Arman ou Fred Forest se présentaient parfois comme des « archéologues du présent ». Arman, par exemple, lorsqu’il réunit des déchets pour y fouiller la société contemporaine ou faire le portrait d’un ami ; Forest quand il présente au visiteur d’une exposition sa propre image en video… document archéologique, déjà…
Henri Maccheroni explore une autre archéologie : celle du signe… Il met alors au point un répertoire de signes élémentaires : croix et cercles, soit X, + et O. On ne saurait faire moins. Il estime ne pas avoir besoin de plus.
Ces trois signes, il va les présenter -et les combiner- sur 7 « couleurs », elles-mêmes définies comme des archétypes. Mais ce ne seront pas les couleurs de la peinture, ni celles du prisme ou de l’arc en ciel… Ce seront des « couleurs » choisies pour leur symbolique contemporaine : rouge, métal, écru, jean, camouflage (léopard), blanc et noir. Enfin il ajoute des « signes-construction » : l’œillet, le lacet.
Ainsi, au moment de l’archéologie du signe », se dessine l’originalité de « l’archéologie virtuelle » d’Henri Maccheroni : une alliance entre ce que nos figures véhiculent de plus ancien, et ce qu’elles comportent de plus contemporain.
Cela ne signifie pas que l’artiste n’est pas intéressé par l’archéologie réelle. Bien au contraire. Henri Maccheroni arpente, appareil photo en main, les sites archéologiques. Il en saisit les images et la sorte de mystère dont ils sont entourés. Tessa Tristan a ainsi pu dessiner un parcours « de l’archéologie réelle à l’archéologie virtuelle » dans la démarche de Maccheroni.
Il n’en reste pas moins qu’aucune des « séries » du peintre ne dérogera à la règle énoncée plus haut : l’alliance entre l’ancien -l’originel- et le contemporain -l’actuel. La série des Egypte Bleu, celle des Terres étrusques, les Archéologies blanches, les Nymphéas, les Méditations africaines… relèvent de cette même logique : un peintre d’aujourd’hui, en employant les moyens techniques, les supports, les outils, les pigments, les procédures que les peintres ont à leur disposition aujourd’hui, fait se dresser des figures que l’on croyait perdues, ou dont on n’imaginait pas qu’elles pussent se trouver là…
L’archéologie virtuelle d’Henri Maccheroni, c’est, bien sûr, le regard que chacun de nous peut porter sur le présent tel qu’il sera vu par des archéologues du futur : tout objet de notre contemporanéité, dit Henri Maccheroni, sera demain un objet archéologique. Mais c’est aussi -et peut-être surtout- l’art d’évoquer ces mondes disparus que nous traînons sous nos pieds sans le savoir, qui fleurissent au bout de nos doigts dès que nous touchons une feuille de papier et que nous la caressons d’un fusain, d’une sanguine, d’une brosse, d’un pinceau, gorgés de pigments en suspension dans l’eau, l’huile ou l’essence…
La déchirure et le recollage d’un papier de peintre et d’un papier kraft font surgir une Étrurie… qui y était virtuellement enfouie. Une bande d’adhésif de protection pour peintre en bâtiment, un carton de protection de mécanicien, les diagonales tracées sur un carré, le bleu qui perle entre eau et essence, font remonter le lapis lazuli, le plan d’une pyramide sur le sable d’un désert, les bandelettes d’une momie ; une marque de gesso sur un fond noir, une bande rouge, et c’est un rituel africain qui est évoqué… archéologie virtuelle.
Tandis que je regarde les œuvres de Maccheroni, remontent dans ma mémoire Lascaux et le pont de l’Arche… Voilà bien des œuvres « réellement » archéologiques… Et pourtant… Elles ne participent à nos regards et à notre culture que depuis quelques décennies : on a ainsi pu dire qu’elles nous sont pleinement contemporaines… Et rapprochant Lascaux, Chauvet et Maccheroni, s’impose l’idée qu’après tout, il n’est, peut-être, d’archéologie que « virtuelle » au sens que l’œuvre de Maccheroni a donné à cette expression…